V
DÉBARQUEMENT A COZAR

D’un seul coup, les écoutes du Chanticleer furent filées et les voiles carguées ; le sloop continua à courir sur son erre, en direction de la jetée sur laquelle une trentaine de soldats français s’étaient regroupés pour observer son approche. Un peu à l’écart des soldats qui bavardaient, un officier moustachu plein d’une morgue hautaine flattait l’encolure de sa monture énervée par le tonnerre des canons ; la batterie du fort continuait à tirer sur l’Hyperion, désormais invisible.

Dès que le sloop eut changé de cap, les soldats français les plus proches de la berge commencèrent à ressentir un malaise ; puis tout alla très vite. A l’avant du gaillard, un coup de sifflet retentit, le premier sabord s’ouvrit à la volée et l’énorme gueule de la caronade apparut.

Au même instant, les matelots dégagèrent le prélart qui recouvrait l’embelle et toutes les écoutilles se mirent à dégorger des dizaines de matelots et de fusiliers mari ris sur le pont du sloop.

Trop tard ! Tandis que les premiers rangs des Français cherchaient à reculer sur l’étroit chemin, les derniers essayaient toujours de descendre vers la jetée ; quelques-uns même acclamaient encore le pavillon qui claquait au mât de hune du sloop.

La caronade ouvrit le feu dans un tonnerre d’apocalypse ; la déflagration, répercutée par les falaises, fut si brutale que quelques éboulis se détachèrent de la paroi ; très haut dans le ciel, des centaines d’oiseaux terrorisés tournoyaient en criaillant leurs protestations.

Le gros obus de la caronade ouvrit une tranchée sanglante au milieu des soldats et alla frapper le canon de campagne plus haut sur le rivage. Une deuxième explosion retentit : derrière les volutes de fumée qui tourbillonnaient sur le pont du sloop et malgré la forte gîte du navire, Bolitho aperçut les soldats qui s’effondraient par dizaines, fauchés par les éclats d’obus. Il fit un large signe de son épée :

— Feu !

A leur tour, les petits canons du pont ouvrirent le feu ; ils étaient chargés à mitraille et leurs explosions brèves, à peine plus bruyantes que des coups de fouet, dominaient les cris et les appels terrifiés qui résonnaient sur le rivage ; les projectiles mortels crachés par les gueules étroites des canons balayaient les survivants comme de l’herbe rasée par une lame tranchante.

Bolitho bondit par-dessus le pavois ; ses semelles glissaient sur les flaques de sang et les lambeaux de chair ; derrière lui, ses hommes surgissaient vague après vague, les yeux exorbités, ahuris par l’ampleur du massacre.

Des grappins furent lancés sur la jetée et, dans une dernière embardée grinçante, le Chanticleer s’immobilisa ; son pont résonnait sous les pas précipités des matelots et des fusiliers marins qui se ruaient à terre, regroupés tant bien que mal par leurs officiers.

Une dernière poignée de Français battait en retraite précipitamment vers le chemin, suivie par les coups de mousquet des fusiliers marins et les huées des matelots, armés de piques et de sabres d’abordage.

Bolitho étreignit le bras d’Ashby :

— Vous savez ce que vous avez à faire ! Espacez bien vos détachements. Donnez aux Français l’impression que vous avez deux fois plus d’hommes.

Ashby, haletant, le visage en feu, secoua la tête violemment et reprit sa course avec de grands cris.

Les fusiliers marins étaient tout à la folie du carnage. Il fallut que leurs officiers donnent de la voix avec insistance pour que les hommes se regroupent au garde-à-vous sur le chemin ; leurs uniformes éclatants détonnaient sur les cadavres déchiquetés et les blessés qui se tordaient à leurs pieds.

A cet instant, Bolitho remarqua que l’officier français hautain avait réussi à échapper avec son cheval aux décharges de mitraille et de chevrotine. Un matelot se précipita et saisit la monture par la bride : d’un mouvement aussi vif que l’éclair, le Français leva son sabre et décapita le malheureux qui tomba sans une plainte. Un soupir de consternation s’éleva des rangs de fusiliers marins.

Puis un coup de pistolet isolé résonna et, digne jusqu’au bout, l’officier français bascula lentement de sa selle : son cadavre alla rejoindre ceux des premiers hommes fauchés par l’obus de la caronade.

Le lieutenant Shanks tendit le pistolet fumant à son ordonnance :

— Rechargez ! ordonna-t-il sèchement.

Puis il se tourna vers Ashby et, conformément à l’étiquette navale, suggéra :

— Je pense que c’est à vous que revient le cheval, monsieur.

Ashby fut en selle d’un bond et se tourna vers Bolitho :

— Je vais suivre la route, commandant. Je pense qu’il nous faudra une vingtaine de minutes pour atteindre la forteresse.

Puis, avec l’attention détachée d’un professionnel, il suivit du regard les premières escouades de fusiliers marins qui se dispersaient en tirailleurs sur les collines, de chaque côté du chemin ; dans les taillis, leurs uniformes rutilaient comme des fruits mûrs.

Deux tambours et deux fifres prirent position à la tête du corps ; derrière eux, le lieutenant Inch regroupa en bon ordre ses soixante-dix hommes.

Ashby ôta son bicorne d’un geste large. En selle sur sa nouvelle monture, il avait vraiment une allure très martiale, songea Bolitho.

— Baïonnette au canon ! rugit le fusilier.

Bolitho se détourna pour étudier la pente de la falaise jusqu’au promontoire ; d’où il se trouvait, les remparts du fort étaient invisibles. Les matelots qui devaient raccompagner l’attendaient à l’extrémité de la jetée, menés par Rooke et l’aspirant de quart.

— Demi-tour droite, droite ! cria Ashby. En avant, marche !

Toute cette scène, se dit Bolitho par-devers lui, avait quelque chose d’irréel : Ashby sur son cheval gris à la tête de ses hommes, l’éclat des baïonnettes et le cliquetis des équipements, le martèlement cadencé des bottes qui piétinaient avec indifférence le carnage sanglant laissé par le sauvage débarquement des hommes du sloop.

Pour ajouter au caractère lyrique de la scène, les tambours et les fifres attaquèrent une marche enjouée, Le Gai Dragon. Bolitho s’interrogeait : comment les musiciens parvenaient-ils à se remémorer une mélodie dans des circonstances pareilles ?

Le capitaine de vaisseau s’avança d’un pas contraint vers Rooke :

— Nous devons faire mouvement sans délai.

Il désigna du doigt les éboulis qui jonchaient le pied du promontoire comme un collier brisé :

— Il va falloir escalader la falaise jusqu’au niveau de la batterie. Cela fait deux bonnes encablures ; nous n’avons pas de temps à perdre. Ne laissons pas à la garnison le temps de se ressaisir.

— Quand les Grenouilles verront l’armée d’Ashby approcher de l’entrée principale, ils penseront que la fin du monde est arrivée ! grimaça Rooke.

— J’espère bien, opina Bolitho. Autrement ce ne sont pas de simples éboulis que nous recevrons sur la tête !

Glissant et trébuchant, les matelots longeaient en file indienne le pied de la falaise. Là-haut, dans le fort, le feu roulant des grosses pièces d’artillerie se poursuivait ; Bolitho se dit que Quarme faisait de nouveau mine de passer à l’attaque. Evidemment, le débarquement n’avait pas échappé aux vigies de la garnison mais celle-ci ne pouvait pas faire grand-chose, si ce n’est tenir la place et attendre l’assaut ennemi. Comme Rooke l’avait fait observer, l’approche ostentatoire d’Ashby ne manquerait pas d’attirer tous les regards : jamais les Français ne penseraient que c’était là une simple manœuvre de diversion.

Bolitho avait minutieusement étudié les moindres bribes d’information à sa disposition ; il lui restait à espérer qu’il n’y avait pas eu de changement majeur dans le plan des fortifications. Le donjon circulaire était entouré par une haute enceinte octogonale dans laquelle s’ouvraient, à intervalles réguliers, de profondes embrasures pour les canons. Tous les remparts, vers l’intérieur des terres, étaient doublés d’un fossé, que franchissait un seul pont devant l’entrée principale du fort. Du côté du large et au-dessus de la falaise elle-même, il n’y avait que le mur d’enceinte. L’architecte des fortifications avait considéré comme improbable qu’un intrus pût franchir l’entrée du port ; et quand bien même, l’ascension de la falaise, haute d’une centaine de pieds, semblait pratiquement impossible.

Bolitho glissa et tomba dans l’eau jusqu’à la ceinture. En dépit du soleil, la mer était glacée ; il eut un sursaut qui l’aida à se redresser.

Déjà les hommes peinaient et ralentissaient le pas : la vie du bord, où tous les matelots étaient entassés dans un espace exigu, se prêtait mal aux longues marches ; c’était la pire préparation que l’on pût imaginer pour ce genre d’exercice.

— Le fort, hasarda Rooke haletant, peut se révéler plus difficile à prendre que nous ne le pensons, commandant. Le capitaine Ashby devra peut-être engager une attaque frontale.

Bolitho lui glissa un bref regard :

— Les fortifications sont déjà anciennes. A l’époque de leur construction, je pense qu’on s’est surtout soucié de repousser les attaques venant de la mer. On ne prévoit jamais d’être pris à revers.

A en juger par son expression dubitative, Rooke n’était guère convaincu. Mais Bolitho n’y prêta pas attention : son esprit était ailleurs. L’image du château de Pendennis, à l’ombre duquel il avait grandi et qu’il contemplait souvent de sa fenêtre, flottait devant ses yeux.

Pendennis avait été bâti pour défendre Falmouth des attaques venant du littoral ; puis, un beau jour, pendant la guerre des Deux-Roses, le vieux château avait changé de rôle : il lui avait fallu tourner ses défenses vers l’intérieur des terres, pour barrer le chemin aux troupes de Cromwell ; ce fut le dernier bastion tenu par le roi Charles.

Dans la maison de Bolitho, l’un des portraits les plus anciens représentait le commandant Julius Bolitho, avec le siège de Pendennis en arrière-plan ; son ancêtre avait essayé de rompre le blocus en faisant parvenir une cargaison de provisions au château investi. Il échoua, et mourut d’une balle de mousquet qui lui épargna une fin humiliante sur le gibet. Et le château finit par tomber.

Bolitho escalada avec précaution un rocher glissant, poli par les marées, et observa la falaise qu’ils devaient escalader :

— C’est ici qu’il nous faut grimper.

Il sentait son cœur lui marteler les côtes, la sueur lui coller la chemise à la peau.

La paroi était presque verticale mais, si ses calculs étaient bons, ils aboutiraient juste en dessous du sommet arrondi du promontoire ; à cet endroit, le rempart arrivait à moins d’un pied du bord de la falaise.

— Monsieur Tomlin, êtes-vous prêt ?

Tomlin était le bosco de l’Hyperion ; c’était un petit homme trapu, étonnamment velu et doté d’une musculature sortant de l’ordinaire. Mais il n’abusait pas de sa force : jamais Bolitho ne l’avait vu frapper un matelot sous l’effet de la colère.

Debout sur un rocher, Tomlin balançait dans sa main un lourd grappin, comme une serre monstrueuse :

— Je suis prêt, commandant !

Le trou laissé par deux incisives manquantes donnait à son sourire une expression égarée, presque hallucinée.

Bolitho observa sa petite troupe : ses hommes étaient trempés d’embruns, souillés de vase, et on lisait dans leurs yeux le reflet fuyant du désespoir. Il prit la parole, articulant lentement chacun de ses mots ; il n’avait pas droit à l’erreur.

— M. Tomlin va monter le premier et amarrer le grappin. Ensuite vous me suivrez : pas plus de deux hommes à la fois sur le filin. Compris ?

Plusieurs matelots hochèrent la tête comme des somnambules et il poursuivit :

— Pas un bruit, pas un geste tant que je ne donne pas le signal. Si on nous aperçoit avant que nous ne franchissions le mur d’enceinte, nous n’aurons pas le temps de nous replier jusqu’ici.

Il les regarda dans les yeux, un par un :

— Contentez-vous de faire comme moi, et restons groupés.

Il sentit en lui un élan de compassion pour ces matelots épuisés : qu’ils lui fassent confiance, c’était la condition de leur réussite.

Bolitho fit un petit signe de tête impérieux :

— Très bien, monsieur Tomlin ! Voyons un peu ce que vous avez dans les biceps, je vous prie !

 

Tomlin fit toute l’escalade comme en se jouant ; la roche friable n’était pas sûre et de petits éboulis cascadaient derrière lui, mais il se hissa d’un trait jusqu’à la crête, avec l’agilité d’un jeune gabier d’empointure. A moins d’une quinzaine de pieds du sommet courait une saillie étroite ; dès que Tomlin y fut parvenu, il cala le grappin dans une fissure, entre deux rochers en surplomb ; son corps râblé se détachait sur le ciel comme une gargouille grotesque. Puis il lança le lourd cordage et regarda les matelots, dont tous les visages étaient tournés vers lui.

Bolitho éprouva la solidité du cordage et commença à se hisser. La paroi était plus raboteuse qu’il ne l’aurait cru et les rares points d’appui rendus glissants par les fientes des oiseaux de mer ; quand il parvint au sommet, il était hors d’haleine et Tomlin l’empoigna sans cérémonie.

Le bosco était hilare, les dents qui lui restaient brillaient comme des crocs.

— Vite fait, bien fait, commandant ! s’exclama-t-il en levant un pouce noueux. Les autres vont suivre maintenant.

Bolitho n’eut pas le souffle de répondre. Il se redressa en titubant et évalua la difficulté de la dernière partie de l’ascension. Au-dessus du bord de la falaise, il apercevait le sommet du mur d’enceinte et la fumée des canons de la batterie. Deux embrasures s’offraient à sa vue, toutes deux vides : comme il l’avait prévu, les bouches à feu avaient été roulées jusqu’aux remparts opposés afin de concentrer tous les tirs sur l’Hyperion.

Quelques pierres allèrent s’éclabousser dans l’eau, très loin en dessous : les premiers matelots montaient à sa suite. Il n’osait risquer un regard vers le bas ; la précarité de leur situation et l’effort de l’ascension l’avaient abattu.

— Très bien, bredouilla-t-il entre ses dents. Je vais continuer maintenant.

Il regardait avec envie la musculature presque difforme de Tomlin et se demanda comment le bosco pouvait être aussi calme et sûr de lui :

— Et faites-les tenir tranquilles !

— Le premier qui dit un mot, répondit Tomlin avec un sourire de vampire, je le pousse en bas, commandant !

Il avait l’air parfaitement décidé à le faire. Bolitho commença à se hisser lentement sur la dalle inclinée ; le soleil lui brûlait le cou et les mains, et les fines aiguilles des ajoncs lui piquaient les doigts.

Tout son champ de conscience se réduisait à cette petite surface de falaise qui, par instants, lui semblait elle-même dépourvue de sens et de réalité.

Du coin de l’œil, il apercevait la mer, bleue et claire comme du verre ; l’horizon était si étincelant qu’il lui brûlait la cornée. Nulle trace de son vaisseau, mais la falaise tremblait sous les grondements étouffés des canons : l’Hyperion ne devait pas être bien loin.

Il leva la tête et vit le mur d’enceinte, si proche maintenant qu’il distinguait les petites touffes d’herbe et les minuscules fleurettes bleues qui surgissaient, insouciantes, entre les pierres usées. Les impacts des boulets tirés par l’Hyperion lors de sa précédente incursion étaient nettement visibles, ils avaient dénudé la surface des mœllons en plusieurs endroits.

Bolitho parvint au sommet et rampa à toute allure jusqu’au pied du mur : il se sentait comme nu en plein soleil et attendait, le cœur battant, la sommation d’une sentinelle ou le choc terrible d’une balle de mousquet entre ses omoplates.

L’embrasure la plus proche était à quelques pieds du sol ; retenant son souffle, le capitaine de vaisseau se haussa sur les genoux et jeta un coup d’œil à l’intérieur, oublieux du danger auquel il s’exposait. Il se sentait curieusement détaché de la réalité, comme un spectateur rendu invulnérable par la double barrière du temps et de la distance.

Le mur octogonal qui entourait le donjon central avait été construit sans fondations, maçonné directement sur les bosses et les ravines de la colline, comme s’il ne devait jamais être délogé de là. L’embrasure devant laquelle Bolitho se trouvait était située à l’endroit le plus élevé du mur d’enceinte ; par la meurtrière, il apercevait, derrière le donjon massif, les portes jumelles de l’autre côté de la batterie. Il parvenait même à distinguer les méandres de la route, qui disparaissait plus bas entre les collines.

Sur l’esplanade, des soldats s’activaient à nourrir le feu des canons tournés vers la mer. Même en plein soleil, les boulets rougeoyaient dans les étranges berceaux de fer où ils reposaient ; il fallait deux soldats pour transporter ces curieux brancards, au pas de course sur le sol de terre battue, et Bolitho voyait nettement que la chaleur rayonnée par les boulets les incommodait.

Il entendit ses hommes qui, un par un, franchissaient en ahanant le sommet de la falaise ; les chuchotements impérieux de Rooke, assortis de quelques menaces, les déployaient en bon ordre de chaque côté de lui. Il ne se retourna pas ; il étudiait la disposition des lieux, l’étroit talus de terre au pied du mur d’enceinte et le mouvement coordonné des soldats qui transportaient les munitions, tels des rongeurs fébriles. Derrière le talus se trouvaient, sans aucun doute, le magasin et la chaudière ; ce puissant remblai servait à les protéger d’un éventuel tir en cloche qui passerait par-dessus le rempart.

— Nous sommes tous là, commandant ! annonça Rooke laconique.

Un long sillon de fatigue creusait ses joues et ses yeux étincelaient sous l’effet d’une pression contenue.

— Bien.

Bolitho se redressa et appuya son visage contre la paroi chaude ; on commençait à entendre les roulements lointains des tambours et les trilles grêles des fifres d’Ashby. Oubliant presque sa situation risquée, il observa la lointaine colonne écarlate qui s’arrondissait en éventail à un tournant du chemin, et le cheval gris qui trottait en tête d’un air important. Les tuniques rouges des fusiliers marins semblaient immobiles, mais on distinguait nettement le mouvement régulier des pantalons blancs marchant d’un même pas ; la colonne sinueuse des soldats ressemblait à une chenille rutilante, au dos hérissé de piques d’acier étincelantes. Ashby manœuvrait à la perfection : conformément aux ordres de Bolitho, les détachements étaient judicieusement espacés, de façon à donner l’impression d’une force bien supérieure.

Les matelots d’Inch, qui formaient l’arrière-garde, apparurent à leur tour : masse confuse d’uniformes bleu et blanc mal alignés ; leurs pieds soulevaient un voile de poussière qui donnait à leur approche une allure plus formidable encore.

— Combien de Grenouilles là-dedans, commandant ? demanda Rooke.

Bolitho plissa les paupières : les canonniers français venaient de remarquer l’approche de la colonne ennemie. Le capitaine de vaisseau estima qu’il devait y avoir une cinquantaine de soldats à l’extérieur du donjon, le double à l’intérieur ; peut-être le triple, mais c’était peu probable. On n’apercevait que quelques têtes qui se découpaient sur le ciel, et un autre petit groupe sur une échauguette qui gardait les portes jumelles.

— Bien assez pour ce qu’ils ont à faire, monsieur Rooke.

Il fallait aussi compter avec les défenses extérieures, au-delà du mur d’enceinte, que les hommes d’Ashby devraient assaillir si l’attaque de Bolitho échouait : deux remblais abrupts, dont l’un était tout récent. L’intervalle qui les séparait devait vraisemblablement être hérissé de pieux acérés et d’autres obstacles ; les assaillants seraient fauchés par la mitraille et les balles de mousquet avant même d’avoir atteint le fossé principal au pied du mur d’enceinte.

Ashby dirigeait ses troupes comme à la parade, dans un grand étalage de figures géométriques variées, de la file indienne au carré ; quelques fusiliers marins, déployés en tirailleurs sur chaque flanc, accompagnaient le mouvement d’un pas lourd : ils devaient être aussi surpris que les Français par la science manœuvrière de leur capitaine.

— Nous n’avons que quelques minutes, chuchota Bolitho. Les Français ne tarderont pas à comprendre que c’est un coup de bluff.

Il s’accroupit instinctivement quand le tonnerre d’un coup de canon isolé gronda de l’autre côté de l’enceinte. Puis il ajouta ces mots lourds de sens :

— L’Hyperion ne peut multiplier indéfiniment ses feintes et ses esquives. Il suffirait qu’un seul boulet vienne se loger dans une encoignure inaccessible, pour qu’il soit réduit en cendres.

Rooke dégaina son épée et vérifia ses pistolets à sa ceinture :

— Je suis prêt, annonça-t-il d’un ton sans appel. Mais je reste d’avis que nous ferions mieux de nous glisser jusqu’aux portes principales ; si nous les atteignions avant que les Français ne s’aperçoivent de notre présence, nous pourrions ouvrir le passage aux hommes d’Ashby.

— Et si nous échouons ? rétorqua Bolitho d’un ton égal. Ils nous élimineront un par un, et auront ensuite tout leur temps pour réduire les forces d’Ashby en chair à pâté.

Il se passa la langue sur les lèvres et s’écarta de l’embrasure. Tous les matelots le dévisageaient avec inquiétude, essayant de lire leur avenir dans ses yeux.

— A mon ordre, expliqua-t-il, nous nous introduirons dans l’enceinte par ces deux embrasures.

De précieuses secondes s’écoulaient, mais il fallait que chacun comprît avec précision ce que l’on attendait de lui.

— Près de soixante-quinze yards nous séparent de l’entrée du donjon ; pour l’instant, cette porte est ouverte mais, s’ils nous aperçoivent trop tôt, ils nous la claqueront au nez !

Il se força à sourire :

— Alors, courez comme si le diable en personne était à vos trousses. Si nous nous emparons du donjon, les hommes de la batterie se rendront : ils ne peuvent pas s’en sortir tout seuls.

Il eut un haut-le-corps en reconnaissant, parmi les visages qui le regardaient, celui de l’aspirant Seton ; Rooke, devant sa stupéfaction, prit un ton désinvolte :

— J’ai jugé opportun de le faire venir, commandant. Nous aurons besoin plus tard de tous les hommes d’expérience.

Bolitho le toisa froidement :

— Les lieutenants ne sont pas immortels non plus, monsieur Rooke !

Tomlin les interrompit d’un ton bourru :

— La batterie a de nouveau ouvert le feu, commandant. Ils n’ont pas l’air de se faire grand souci à cause du capitaine Ashby, dirait-on !

Bolitho dégaina son épée et écarta la mèche qui lui tombait sur l’œil :

— Bien, allons-y, les gars ! Et surtout pas un bruit, sinon le fouet !

La menace n’était pas de nature à impressionner les matelots présents, même les plus froussards : si les Français les apercevaient maintenant, ce n’est pas le fouet qu’ils leur administreraient.

Le commandant de l’Hyperion se releva lentement et enjamba le rebord de l’embrasure. La muraille était d’une épaisseur considérable et Bolitho sentit une main secourable sous son aisselle : le fidèle Allday le serrait de près. Il prit subitement conscience qu’il l’avait complètement oublié pendant leur lente approche à flanc de falaise… Sans doute était-ce parce que ces longues années de bons et loyaux services les avaient rapprochés au point qu’il n’éprouvait plus le besoin de vérifier la présence de son courageux serviteur.

— Si je tombe, Allday, dit-il soudain, continue avec M. Rooke. Il aura besoin de toute l’aide possible.

Allday soutint calmement son regard :

— A vos ordres, commandant !

Puis il balança sur son épaule une lourde hache d’abordage et ajouta :

— Mais il y a des chances que ce soit sur lui que les Français tirent.

Il eut un sourire amusé :

— Avec tout le respect que je vous dois, commandant, vous n’êtes pas assez élégant pour servir de cible !

Bolitho, qui ne laissait jamais passer une impertinence, rétorqua doucement :

— Un de ces jours, mon garçon, il se pourrait bien que je te le rappelle, le respect que tu me dois…

Puis Rooke, à la tête de son groupe, commença à s’engager dans l’embrasure. Bolitho sauta, prit son élan et partit ventre à terre en direction du mur du fort.

Il y arriva hors d’haleine et appuya ses épaules contre les énormes mœllons tandis que les autres le rejoignaient ; c’était à peine croyable : personne ne les avait vus. De ce côté du donjon, ils étaient seuls maîtres des lieux : les canons et les portes, les fossés et les soldats étaient tous cachés par la silhouette trapue du fort.

Il fit un signe de la pointe de son sabre et commença à longer la muraille. La porte d’entrée du fort était complètement dissimulée par la courbure du mur et, quand il arriva devant, il fut presque aussi surpris que les deux sentinelles qui y montaient la garde, appuyées sur leurs mousquets. L’un des deux soldats mit un genou à terre et épaula son arme tandis que l’autre, plus vif ou moins brave, tournait les talons et s’engouffrait à l’intérieur.

Bolitho détourna le canon du mousquet et se rua à la poursuite du fuyard ; il n’avait pas le temps de réfléchir : un cri atroce retentit, la sentinelle avait reçu un coup de sabre d’abordage avant même de pouvoir faire feu. Bolitho franchit la porte et ses yeux mirent quelques instants à s’accoutumer à l’ombre fraîche de la tour ; cherchant à s’orienter, il aperçut un escalier en colimaçon et entendit des cris retentissants à l’étage supérieur : l’alarme était donnée.

— Monsieur Tomlin, hurla-t-il, barricadez la porte !

Il fut presque jeté à terre par l’irruption de ses matelots.

— Fouillez l’étage inférieur !

Il se retourna et s’élança vers l’escalier ébranlé par les échos des cris et des appels sauvages de ses hommes, dont la frénésie se donnait libre cours.

Une détonation assourdissante résonna dans la courbure de l’escalier, et l’homme qui grimpait à côté de lui s’écroula sur ceux qui le suivaient. Une petite porte donnait sur un étroit couloir, et Bolitho eut juste le temps d’apercevoir un soldat français qui se ruait sur lui, baïonnette à l’horizontale comme une pique, prêt à enfoncer son arme aveuglément dans la mêlée. Il ne pouvait plus ni monter ni descendre mais, à l’instant où la baïonnette allait se planter dans son cœur, l’éclair de la hache d’Allday jaillit de l’obscurité et s’abattit sur le soldat français, qui s’effondra sur le matelot mort.

Avec une soudaine répugnance, Bolitho regarda le mousquet brisé à ses pieds ; une main coupée en étreignait la crosse : en dépit du coup sauvage assené par Allday, elle semblait encore vivante.

— Allons, les gars ! lança-t-il d’une voix voilée. Encore deux étages !

Il brandit son sabre, comme fou lui aussi, et ils se ruèrent tous ensemble à l’assaut.

Une rangée compacte de soldats les attendait sur le dernier palier ; ils tenaient leurs mousquets sans frémir. Les pointes de leurs baïonnettes étincelaient de reflets meurtriers face à la meute des matelots. Quelqu’un cria un ordre et toutes les armes se déchargèrent dans un fracas apocalyptique. Bolitho fut projeté de côté par les hommes qui tombaient, les oreilles lui tintaient sous l’effet des hurlements et des jurons ; la première rangée de soldats mit genou à terre et la deuxième rangée fit feu à bout portant.

Les marches de l’escalier ruisselaient de sang ; de tous côtés, des hommes essayaient de se soustraire au massacre. Bolitho sentit que l’élan de son attaque était en train de se briser : un moment plus tôt, ils jubilaient d’avoir atteint le fort sans se faire voir, et voici qu’ils risquaient de céder à la panique et à la confusion. Épaule contre épaule, les soldats français s’ébranlèrent dans leur direction pour achever à la baïonnette ce que les balles avaient commencé.

Avec une sorte de sanglot de désespoir, Bolitho franchit d’un bond les dernières marches, écarta deux mousquets d’un coup d’épée et, de toutes ses forces, porta une botte aux hommes de la deuxième rangée. Les soldats stupéfaits étaient trop proches les uns des autres pour pouvoir se servir de leurs longs mousquets. D’un nouveau coup d’épée, il ouvrit une estafilade sanglante en travers du visage d’un homme qui bascula sur le côté comme une marionnette brisée. Telle une marée humaine, ses matelots jaillissaient de l’escalier pour se lancer à l’assaut, le bousculant rudement au passage ; il sentait la chaleur de leur transpiration contre ses membres contusionnés.

Quelqu’un lui heurta la colonne vertébrale avec un mousquet et, dans une brume de douleur, il aperçut un officier nu-tête, fébrilement concentré sur son geste, qui mettait en joue un matelot en dessous de lui. Avec un dernier effort. Bolitho leva son épée au-dessus de la masse grouillante qui luttait autour de lui et allongea une botte à l’officier. La force du coup lui ébranla tout le bras jusqu’à l’articulation de l’épaule. D’autres matelots surgissaient sans cesse derrière lui, lorsqu’il vit soudain la bouche de l’officier s’ouvrir dans un spasme d’agonie silencieuse : la lame avait tranché son épaulette, son col et enfin sa gorge, dont l’artère éclata comme une fleur hideuse.

Presque défaillant, Bolitho se sentit vaciller en arrière ; quelqu’un le soutenait en criant son nom. Puis il fut poussé vers l’avant, se prenant les pieds dans les cadavres et les blessés suppliants : les marins britanniques chargeaient en direction du rectangle de lumière qui se découpait au sommet des escaliers. Comme dans un rêve sauvage, il vit Rooke passer son épée au travers d’un homme qui défendait la porte, et continuer sans ralentir. Un grand matelot coiffé d’une natte se précipita sur le Français agonisant et lui planta sa hache entre les épaules avec une violence telle qu’il dut se mettre debout sur le postérieur du mourant pour dégager sa lame.

Bolitho, pantelant, ne tenait debout que grâce à la poigne d’Allday, qui faisait des moulinets avec sa hache d’abordage pour l’abattre, comme la faucille d’un moissonneur, sur tous ceux qui tentaient de dévaler l’escalier, la seule voie de salut possible. Il s’efforça de dominer la douleur et la nausée qui menaçaient de le terrasser : s’il ne reprenait pas ses hommes en main, il n’y aurait pas de prisonniers ; toute la garnison française serait passée au fil de l’épée.

Ecartant Allday, il gagna l’extérieur à la suite des autres :

— Le pavillon ! ordonna-t-il à Rooke. Amenez-le, mon vieux !

Rooke pivota comme une toupie, les yeux fous ; puis il reconnut Bolitho et reprit un peu ses esprits :

— Tu as entendu ? aboya-t-il. Eh bien, exécution ! Espèce de balourd !

Il s’adressait à un matelot qui s’appliquait à étrangler un blessé de ses mains nues ; Rooke lui assena une grande claque sur les omoplates du plat de son épée et l’homme lâcha prise avec un petit cri de douleur.

Allday attendit que le drapeau français repose sur la maçonnerie, puis il déploya autour de lui le pavillon britannique avant de le tendre au matelot hors d’haleine.

— Hisse-le, mon garçon ! ordonna-t-il sans autre cérémonie.

Il remit la lourde hache sur son épaule et regarda le pavillon monter à la drisse et flotter dans la brise tiède.

— Voilà qui va leur donner à réfléchir !

Bolitho s’avança jusqu’au rempart et se pencha, à plat ventre, sur les pierres usées ; en dessous de lui, le long du mur d’enceinte, les servants des canons français fixaient, bouche bée, le pavillon britannique qui flottait au donjon ; au large, l’Hyperion était en train de virer de bord et se disposait à changer d’amures pour se diriger vers l’entrée du port.

Il se sentait malade, à bout de forces, mais il y avait encore beaucoup à faire ; il se détourna péniblement et dénombra les vainqueurs haletants qui l’entouraient : on était loin des vingt-cinq qui avaient escaladé la falaise.

— Emmenez-moi ces soldats français et enfermez-les, ordonna-t-il.

Il se tourna vers Tomlin qui apparaissait dans l’encadrement de la porte :

— Oui ?

Le bosco le salua, les doigts sur la tempe :

— J’ai un officier français ici, commandant. C’est lui qui a les artilleurs sous ses ordres.

Les crocs de l’officier marinier rutilaient de plaisir :

— Il s’est rendu, commandant !

— Très bien.

La simple idée d’un face à face avec le Français lui était insupportable : il ne pouvait affronter ni la mine défaite du vaincu ni son humiliation, tout au moins pas dans l’immédiat.

— Monsieur Rooke, ordonna-t-il, descendez désarmer la batterie. Puis ouvrez les portes et faites bon accueil au capitaine Ashby, avec mes compliments ; il a fait du bon travail.

Rooke se hâta de dégringoler l’escalier et Bolitho entendit quelques acclamations dans le lointain. L’Hyperion peut-être, ou encore les fusiliers marins d’Ashby, il n’en avait cure.

Pris de vertige, il entrevit le visage inquiet d’Allday.

— Est-ce que vous vous sentez bien, commandant ? Je crois que vous devriez vous reposer.

Bolitho secoua la tête :

— Laisse-moi réfléchir. Il faut que je réfléchisse !

Il se détourna et aperçut Seton qui dévisageait d’un air horrifié le soldat français gisant à ses pieds. L’homme avait été blessé au ventre et du sang coulait en abondance par sa bouche ouverte ; il s’accrochait quand même à la vie, pathétique et désespéré, bafouillant des mots inintelligibles qui s’étouffaient dans son propre sang. Peut-être, à cet instant suprême, voyait-il Seton comme un sauveur possible.

— Aide-le, mon garçon ! dit Bolitho. Il est inoffensif, désormais.

Mais le jeune homme hésitait, ses lèvres frémissaient tandis que le mourant posait une main ensanglantée sur sa botte. L’aspirant tremblait de façon convulsive et Bolitho vit que son poignard d’ordonnance était toujours au fourreau. Pour ce frêle jeune homme, la sauvagerie de leur assaut avait dû représenter un enfer, songea un instant Bolitho ; mais il insista :

— Ce n’est plus un ennemi à présent ; ne le laisse pas mourir seul.

Et il se détourna, incapable de regarder l’aspirant s’agenouiller : le blessé suffocant, dont la bouche émettait des bulles grotesques, s’agrippa sur-le-champ à sa main, comme si c’était l’objet le plus précieux au monde.

— Il apprendra, commandant, observa Allday, rassurant. Laissez-lui le temps et il apprendra.

D’un regard, Bolitho le fit taire :

— Ce n’est pas un jeu, Allday. Jamais ce ne sera un jeu.

Les lourds pas d’Ashby résonnaient dans l’escalier et le capitaine des fusiliers marins fit son apparition en plein soleil, illuminé par un radieux sourire :

— Par le ciel, commandant ! J’apprends vos hauts faits !

Il claqua bruyamment ses deux mains l’une contre l’autre.

— Vous vous êtes couvert de gloire. Quelle splendeur ! Quelle victoire !

Bolitho regardait l’Hyperion ; le vaisseau tirait son dernier bord pour embouquer l’entrée du port ; sur le pont supérieur, des matelots s’activaient, s’apprêtant à mettre à l’eau des embarcations.

— Je veux que vous traversiez l’île jusqu’au fortin, Ashby, ordonna-t-il. J’imagine qu’ils se rendront sans trop de difficulté quand vous apprendrez à l’officier responsable qu’ils sont seuls désormais.

Mais Ashby ne bougeait pas ; rien ne semblait pouvoir atteindre cet homme vêtu d’écarlate. Sa voix tonitruante résonnait dans l’esprit de Bolitho comme dans une caverne :

— Une magnifique victoire, commandant ! Exactement ce qu’il nous fallait ! Vraiment sublime !

— Si c’est vous qui le dites, Ashby, répliqua Bolitho, c’est certainement vrai. Maintenant, veuillez faire mouvement conformément à mes ordres.

Soulagé, il vit le fusilier faire enfin demi-tour et s’engouffrer par la porte, tout à sa martiale jubilation.

Perplexe, Bolitho se demandait s’il savait vraiment ce qu’il faisait au moment où il s’était jeté sur les baïonnettes françaises ; avait-il agi poussé par une folie meurtrière ou talonné par une peur croissante de se faire vaincre et humilier ?

Plus bas, sur la batterie, les remparts grouillaient de fusiliers marins surexcités ; il aperçut deux matelots chevauchant la monture d’Ashby, hilares, clamant leur joie tandis qu’ils traversaient au petit galop les rangs des prisonniers hébétés.

— Il a bien raison, commandant, remarqua Allday. Ils étaient perdus dès le moment où vous avez agi.

Il secoua la tête :

— Comme au bon vieux temps ! Frapper vite et bien, pratiquement sans perte de notre côté ; quelques saignements de nez, quoi…

Bolitho regarda Seton, toujours assis à côté du soldat français ; il serrait la main ensanglantée du blessé et ne quittait pas des yeux le visage de l’homme. Il était tout entier dans ce geste.

Allday suivit son regard et ne put tenir sa langue :

— Il est mort, monsieur Seton. Vous pouvez le laisser à présent.

Bolitho frissonna. Tout était terminé.

— J’ai un message à transmettre au Chanticleer, déclara-t-il. Que Bellamy appareille sans délai et informe la Princesa que nous avons pris l’île.

Il se retourna. Seton était debout à côté de lui. Les lèvres de l’aspirant tremblaient encore et les pleurs ruisselaient sur son visage blême, mais sa voix était assurée et sa détermination farouche :

— J’i… j’i… j’irai, commandant, s… si vous pensez que c’est à ma portée.

Bolitho posa la main sur son épaule et le dévisagea pendant plusieurs secondes. Les mots d’Allday étaient encore présents à sa mémoire, comme une épitaphe : « Laissez-lui le temps et il apprendra. »

— Très bien, monsieur Seton, dit-il lentement. Je suis tout à fait certain que c’est à votre portée.

Il regarda le jeune homme qui s’éloignait d’un pas raide vers la porte, les bras ballants, la tête levée pour éviter de croiser le regard fixe des morts et d’entendre les gémissements des blessés. Je pourrais être à sa place, songea vaguement le commandant de l’Hyperion. Il y a vingt ans, j’aurais moi-même sombré, n’eussent été les mots appropriés que quelqu’un sut trouver pour moi. Il plissa les paupières à cause du soleil ; il avait beau fouiller sa mémoire, ces fameux mots ne lui revenaient pas, pas davantage que l’identité de l’homme qui l’avait aidé à rester sain d’esprit quand, comme celui de Seton, son univers d’adolescent s’était effondré. Il bomba le torse et remit son épée au fourreau.

— Suis-moi, Allday, dit-il enfin. Voyons un peu ce que nous avons conquis.

 

En ligne de bataille
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